Il est d’usage de viser avec enthousiasme le moment du repas. Se projeter dans la soupe, les galettes, le riz, les lentilles. Les légumes. Les crudités. La viande, parfois.
Le trek vous fait ça. Les choses simples sont agréables, la subsistance est importante, le plaisir du soir, essentiel.
Comme celui du matin. Et du midi.
Redevenons des animaux – ou du moins, des êtres humains proches de la nature. Marchons, parlons, mangeons.
Dormons.
Et montons. De jour en jour, de mètre en mètre. Montons vers des sommets qui s’éloignent à mesure que l’on s’en rapproche. Qui impressionnent. Tendent des bras cruels, des mains factices. Appellent.
A mesure que l’on monte, l’estomac s’efface. L’oesophage se crispe. L’appétit, le bel appétit, l’enthousiaste appétit, s’amenuise. Toute l’énergie que je mis à manger, les premiers jours, je la garde maintenant pour marcher. Respirer. Dormir si possible.
Et la montée taxe.
Je n’ai pas l’habitude de ne pas manger, alors je me ruse. Je me joue des tours. Mon nez m’écoeure lorsque l’omelette arrive, ma bouche se révulse devant les chapati, mon ventre se rebelle contre le fromage de yak aux puissants relents.
Pourquoi cela ? Que m’a fait cette magnifique nourriture préparée avec soin et entrain, dont je me régale depuis dix jours ? Pourquoi d’un coup, brutalement, je suis contraint de ne plus y toucher – et me contente de barres, de pâtes de fruit et de pain ?
C’est l’altitude – on me l’avait dit, je n’avais encore jamais testé.
Si haut, mon corps économise ses forces, garde son air pour survivre et se garde de digérer. Et tape dans ses réserves. Se rit de mes envies, les détourne, les repousse. Ne me reconnaît plus.
Un jour « sans » qui en dure huit, des réserves qui fondent, mais une énergie sans faille.
Positive altitude, la mère de tous les régimes.