Mary la bonne

Lorsqu’on sature de Euston Road, cohue frénétique, polluée et bruyante qui mène de Saint Pancras à Madam Tussaud en passant par Regent’s Park, tournant à gauche pour rejoindre le calme et voluptueux luxe de Mayfair, on a, si l’on est chanceux, toute latitude d’emprunter Marylebone High Street. Il suffit pour cela de ne pas aller jusqu’à Baker Street, et tant pis pour la garçonnière de Sherlock Holmes!

Avant, la marche a été monotone, rythmée par les grands bâtiments, les courants et contre-courants humains, les intersections couvertes de véhicules qui surgissent toujours du mauvais côté et surprennent le regard du passant continental, les tunnels autoroutiers en pleine ville.

La marche a été longue. Peu agréable. Pénible, presque.

Devant Regent’s Park, on aurait pu obliquer dans le vert, fondre sur la pelouse, se perdre entre les arbres. Aller respirer du côté de Saint John’s Wood. Dans l’espoir d’éveiller les sensations recherchées de légèreté, d’insouciance. De liberté. Mais l’appel de la cité était impératif. Je suis resté sur Euston Road.

Encore quelques mètres.

En ville, les concentrations entravent le regard. Détournent le marcheur de sa pensée intime. Alors il faut vite, au bout d’un moment, trouver son hâvre de paix. Son port d’attache temporaire. Son safe haven. Tout en restant en ville, sans feindre la campagne.

Voilà! Tourner, à gauche, vers le sud, dans Marylebone High Street.

Après quelques mètres, on se sent étrange, sac au dos, à emprunter cette rue d’habitués, de dîneurs, chineurs et shoppers.

Le pas ralentit, se repose de la course des rats, le temps s’installe.

La rue est bêtement chic au premier abord, quelques boutiques de marques, beaucoup de restaurants, pubs et cafés. Pâtisseries au prénom alléchant, table d’hôtes belge, terrasses italiennes, libanaises, indiennes, anglaises.

Londres est, comme toutes les villes riches, un paradis du gourmand. Triste évolution lorsqu’on a le souvenir d’une Londres valsant, où il valait bien mieux boire, rire et danser que manger; mais l’embourgeoisement l’a atteinte, les cafés ont remplacé les pubs et les bonnes tables, les fish and chips.

Quoique…

En descendant Marylebone High Street, restant bien à tribord pour ne pas rater, longeant le quai sans se laisser divertir, on finit par le trouver.

Le fish and chips.

Même, the ultimate fish and chips.

Fishworks.

A mes yeux de gourmand avide d’authentique, rien ne vaut cette poissonnerie à l’étalage sautillant de fraîcheur, d’un grand classicisme teinté de luxe, dont l’arrière-salle est l’un des meilleurs restaurants de poisson de ma connaissance (un jour, je marcherai jusqu’au Duc).

Dès l’entrée dans la fraîcheur iodée de Fishworks, mon sac s’allège. Les 10 kilos de matériel informatique, trousse de toilette et chaussures de sport s’effacent pour me laisser inspirer à pleins poumons l’air du large.

Jaugeant la pêche du jour, je flâne devant l’étal. L’espace d’un instant, je me prends à imaginer que le déjeuner soit servi ici, sur le carrelage, devant les poissons d’une fraîcheur rougeoyante, à même la glace. Mais puisqu’on insiste, je me rends dans la salle de restaurant. On me conduit à une table, je commande, comme toujours, un fish and chips, et attends.

Quelques minutes plus tard, un immense beignet soufflé de cabillaud me tend ses joues bien dorées, tandis qu’un belle sauce tartare de classique facture m’invite à la déposer sur les frites croustillantes et charnues qui accompagnent.

Une bière avec, peut-être ? Un vin blanc ?

Non, aujourd’hui ce sera de l’eau, la marche doit encore m’amener de l’autre côté de Hyde Park, près de Harrods, où le travail m’attend. Alors de l’eau simplement pétillante, et bientôt j’enchaîne en toute tranquillité les bouchées savoureuses, odorantes et croustillantes, chaud-froid de saveurs marines et terriennes.

Un must absolu.

Lorsque je regagne MHS, Londres s’est apaisée, et moi avec. Détendu, souriant, délassé d’Euston Road, de sa foule et de son bruit, j’entame avec décontraction les quatre derniers kilomètres de ma petite traversée.

Au bout, les scones (mais ceci est une autre histoire).

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