(Attention, celui-ci ne se mange pas)
Il est une image bien connue, censée décrire la fameuse « descente du singe » – pas une piste de ski, plutôt une piste pour comprendre l’origine de l’espèce. On y voit un singe marchant à quatre pattes, puis courbé, se redressant progressivement jusqu’à devenir un fier bipède vertical, parfois portant une lance à l’épaule.
Du singe au soldat, quelques millions d’années.
L’alpinisme, lui, permet un raccourci saisissant. Sa pratique offre un concentré d’évolution rétrograde.
L’homme part debout de sa vallée. Il marche, se tenant fièrement droit, ses armes – bâtons et piolet – à la main ou à l’épaule. Pur produit d’une évolution Darwinienne, forcément parfaite, forcément optimisée, le voici, fier de lui, s’avançant. Ce bipède n’est plus un animal, il se tient debout, droit, le regard portant loin.
Les premières difficultés s’annoncent. Rien de grave, une inclinaison du terrain qui incite, subtilement, à se ramasser, se voûter légèrement. Puis de plus en plus à mesure que la pente augmente, jusqu’à se courber. Bientôt, alors que le rythme ralentit, le regard se porte de plus en plus près des pas.
Et ensuite, les rochers. Les cailloux. Les blocs. Tout ce qui casse les pieds, les rend fragiles, sensibles. Qui demande qu’on y mette, si ce n’est les formes, du moins, les mains. Difficile de rester droit, serein et fièrement bipède alors que les genoux jouent de l’élastique, que les bras s’étendent en balancier, que le buste souple joue à la taille pour s’équilibrer. Et quand on doit vraiment poser les main pour se stabiliser, on se recroqueville. Adoptant parfois des positions peu humaines. En sécurité, difficilement en élégance. Lançant les bras en avant pour poser la main sur le rocher suivant, comme un gibbon s’élançant de branche en branche (en moins bien).
Enfin, lorsque la paroi se verticalise, que l’escalade s’impose, on se colle à la voie pour tenter de s’élever. Transposé à l’horizontale, cela donne un homme grimpeur allongé, progressant vers son but dans une reptation pénible. Luttant de toutes les forces de son corps contre l’attraction terrestre, s’élevant à grands frais contre sa condition, niant sa nature, en pleine évolution vers un animal d’une autre espèce.
Le singe en nous rigole, se moque, nous dépasse facilement, le bouquetin en nous se marre, quant à l’araignée en nous, impossible de se tromper : elle est hilare ! Tant de difficulté, tant d’efforts, pour aussi peu de résultats – tu parles d’une évolution !
L’homme en montagne repasse sans cesse par des cases « départ », en une évolution qui semble rétrograde et nous rappelle que le progrès n’est pas linéaire, que les acquis peuvent peser, et que tout dépend de l’usage que l’on veut en faire. S’adapter ou périr, évoluer ou disparaître, mais sur des échelles de temps variées pendant lesquelles, parfois, une bonne régression vaudrait mieux qu’un long progrès.