Lorsqu’on marche, on a besoin de carburant. D’énergie. De stimulant.
Et il existe d’innombrables façons de se nourrir.
Généralement, l’air pur ne suffit pas. Il faut le compléter par des rations glucidiques, des barres céréalières, des suppléments protéinés. Des boissons énergétiques.
Et puis, de temps à autres, touchés par la grâce, il nous suffit d’exister. De respirer. De s’imprégner.
D’ouvrir grand ses narines, d’aspirer toute la beauté olfactive d’un lieu. Sa merveilleuse odeur qui coule dans l’air environnant et se répand en moi. Me laissant sans voix.
Une incroyable odeur. De miel. De cire d’abeille. De pain d’épice. Comme une nourriture divine – le mot n’a pas de sens, mais l’image parle. Comme une nourriture tombée du ciel, arrivant au corps par les poumons, par l’air qu’on respire, sans aucune lourdeur, sans aucune déglutition, mastication, digestion.
Une nourriture rêvée.
Autour de moi, couchées par le vent d’ouest qui ne faiblit jamais, des touffes de cheveux blonds poussent sur la prairie.
Au-dessus de moi, marqués par la neige, perdus dans les nuages, les géants de granite que je rêvais de voir.
Devant moi, le promontoire d’où j’observerai les lacs glaciaires, les cieux incroyables. Les nuages torturés et laiteux.
Et toujours, m’accompagnant dans la marche, dans la montée, dans l’effort, dans la beauté, le paradis olfactif.
J’ai emporté des réserves mais n’en ai pas besoin, j’ai de quoi me nourrir mais ne ressens aucune faim. Une béatitude itinérante de sentir, et marcher, et voir. Et sentir.
Patagonie émerveillante.
La douceur apparente ne doit pas vous tromper, il y a de l’air. Du gaz. A tous les étages.
Regardant la végétation au sol, les arbres, les montagnes, on s’en rend compte.
On pourrait croire que le photographe était penché, ou maladroit (toujours une possibilité, bien sûr), mais ce n’était pas le cas. Bien campé dans mes chaussures de marche, solidement installé sur un terrain parfaitement plat, les épaules détendues, les mains fermes, j’ai pris cette photo sur laquelle le monde entier paraît s’incliner.
Le vent.
Le vent patagon.
Impossible de connaître la Patagonie sans ressentir ses caresses, ses gifles. Ses morsures.
Le vent patagon ne vous laissera jamais de marbre.
Il a planté ses arbres, revisitant l’intention de la Nature pour lui donner une inflexion toute personnelle. Poussant toujours du même côté, de l’ouest vers l’est, du Pacifique vers l’Atlantique.
Lorsque parfois le vent s’arrête le Patagon est triste car alors les nuages lui cachent les montagnes.
Lorsque le vent reprend le Patagon revit. S’enchante. s’emballe. S’enivre.
Contrairement à ses frères et soeurs fuégiens, rendus complètement fous par le vent interminable, le Patagon du centre, celui du sud pas totalement austral, est capable d’éclairs de lucidités entre deux sautes de vent. Il est capable de ressentir la bizarrerie d’un autocar fonçant sur une ligne droite se mettant soudain à osciller de gauche, à droite, à gauche, à droite, violemment, brutalement, au mépris parfait de ses occupants – seul le chauffeur semble, lui, trouver cela raisonnable.
Mais ne nous leurrons pas – quelques jours exposés à ce souffle impérieux, puissant, insistant, et nous faisons comme tous ici. Nous respirons. A pleins poumons. A grandes lampées gourmandes d’air et de fraîcheur.
Et nous entendons le merveilleux sifflet modulant toutes ses notes, ses changements de rythme. Ses caprices.
Et nous sentons.
Le vent porte ses odeurs, le miel incroyable, les épices douces. La beauté olfactive de la Patagonie aérée me transporte.
Y revenir.
Durer.
Ne plus repartir.
Marcher. Sans faim
Patagonie hallucinante.
Une réflexion au sujet de « La pampa pain d’épice »