Les mots lient les hommes. Et les mot communs créent une terre commune.
C’est bien connu.
Les gens qui partagent un espace de vie sans se comprendre vivent des vies parallèles.
C’est bien connu.
Au Texas, les hispanophones sont nombreux. Apparemment majoritaires. Il est fréquent de traverser des centres commerciaux, des quartiers, des villages dans lesquels on ne parle qu’espagnol.
Et l’impression qui se dégage est celle de l’immense échec de l’intégration à l’américaine. Impression renforcée par l’actualité.
Vanté là-bas : le communautarisme. La défense des intérêts de groupes constitués par affinités culturelles, ethniques ou religieuses.
Incompréhensible pour celui qui vient d’un pays où la langue norme tout. Où le français est le vrai sésame, la seule religion.
Communiquer par la parole paraît être le minimum vital exigible dans une société fonctionnelle. Pouvoir partager avec son voisin de palier, de rue, de ville ou de région, un univers commun permettant d’exprimer les mêmes choses de la même façon. Créant ainsi une pensée, ou plutôt, une façon de penser, propre. Les mots sont bien plus que les choses – ils sont l’ensemble des possibles. Et contiennent dans leur spécificité, dans chacune de leur langue, l’essence de la pensée.
Sans mot, pas de pensée. Sans mot commun, pas de pensée commune.
Mais, retour au Texas !
Carniceria. Taqueria. Rebajas.
Cabron ! Pourquoi parler anglais si l’on veut vivre ici ?
En cette fin de journée automnale, les rues d’Austin sont désertes. Comme celles de tout bon centre-ville qui se respecte aux US of A.
Des artères assez larges pour laisser passer les blindés de retour du Golfe ou d’Irak. Des immeubles assez hauts pour isoler les banques d’affaires des passants potentiels qui effleureraient les étages inférieurs.
Des voitures, bien sûr.
Sinon, personne. Ou presque.
La solitude citadine est triste, malgré la belle lumière. Les sans-abris qui sortent du refuge situé dans le même pâté de maison que mon hôtel me croisent sans croiser le regard. Je parcours plusieurs de ces immenses blocks sans voir personne. L’impression de maquettisme ne me quitte pas. Où sont les gens qui viendront peupler ces espaces vides, froids et ennuyeux ?
Ils attendent certainement la livraison définitive du projet. La finition des peintures, aménagements des cuisines ou salles de bains.
Ou alors, ils attendent simplement que cette ville les accueille et ne les repousse pas…
L’esprit européen n’admet pas que le vide domine et que la cité n’encourage pas le piéton. Alors, je cherche des solutions. Des idées. Des raisons.
En vain. A part la sempiternelle analogie du chien qui se lèche les couilles. Ou de Mallory envisageant l’Everest. Le degré zéro de l’analyse.
Pourquoi un tel tracé si personne ne l’emprunte ? Autant laisser l’autoroute desservir directement les quelques rues animées d’Austin, et remplacer ces larges avenues par des rues piétonnables.
Tandis que j’affabule, les rares voitures filent, les passants manquent. Les tours dominent.
L’espagnol que j’entendais loin du centre de ville me reposait. Me rappelait des ambiances chaleureuses. Des rires. Des familles. Collections d’autres mondes à l’origine d’un opus incertum héritier de sociétés tissées, humaines, piétonnes. Ni paisibles ni calmes, mais vivantes et ouvertes.
Je me contente de ces tristes impressions en descendant Congress Avenue, plongé dans l’extrême solitude des villes états-uniennes. Cherchant l’humain.
Au bout de quinze minutes et autant de rues traversées, je pénètre le coeur d’Austin, la 6ème rue et son enfilade de bars restaurants clubs et salles de concert. Flopée d’étudiants tatoués piercés saturés d’ébriété revisitant le centre-ville pour le transformer en une gigantesque rue de la soif. Violence du vacarme qui m’entoure à chaque porte franchie, comme une succession de bulles prêtes à exploser.
La musique de la langue a changé, ici on parle anglais. Plutôt, on le crie, on le vocifère. Dans une ambiance de brutales discontinuités, d’éclats, de violence bonne enfant.
Enfin de la vie ! Artificielle et chargée, microcosmique et passagère, mais tangible. Un concentré de bruits, de cris, d’odeurs qui s’échappent sans élégance, charme ni raffinement, préférable sans aucun doute au vide urbain, décor inerte entrecoupé d’imposantes et inutiles intersections qui, le précédant, exposait l’ambition inconsciente des grands espaces qui rythment encore la ville.
Bientôt je débouche sur la fin de l’artère musicale et, un block plus loin le silence est déjà retombé. Me laissant avec une interrogation : comment se parler quand on peut si facilement s’éviter ?
J’aime beaucoup ton texte et cette conclusion est parfaite.
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