La marche du cèpe

La marche du cèpe est un pas de danse avec la nature, une pavane lente, un pied sur la mousse, un oeil sur la terre, un pas de côté un oeil qui furète, le sombre sous-bois alimente mes envies. Léger piétinement, surtout ne rien écraser, lent cheminement de pénombre, en quête olfactive. Et quand la main se baisse pour tester, un instant de joie saisi par surprise, qui souvent ne dure pas – je m’abuse toujours mais ne me trompe jamais, au moindre doute je sais que le chapeau sur lequel je fonds n’ira pas dans l’assiette.

Le cèpe, discret, se cache. Bien involontairement.

J’essaie, j’essaie, je lui invente des parents proches, des doubles, des sosies, chapelets de légères déceptions qui renforcent l’obstination, permettent de ne pas rester à ne rien trouver alors même qu’il n’y a rien à trouver. Je tente. Porte à mon nez un candidat. Me convainc – c’est difficile – par l’odeur. Le retourne, décolle les spores, un message négatif, ce sont des lamelles, je me suis trompé. A reposer, au loin, en jetant. Illusions nécessaires, parce qu’au fond, ce que je sais aussi, d’expérience, c’est qu’il y aura quelque chose au bout du piétinement. Une trouvaille, un trésor, une merveille.

Et je ne parle pas par principe ou images, aucun sens figuré dans ma curiosité, je parle exactement de mes forestiers chéris.

Sans s’annoncer, alors que je ne cherche presque plus, au moment du relâchement et de la déception, le voici ! Gros chapeau d’un brun fauve et profond posé sur un pied bien droit. Petite et ronde protubérance masquant un pied trapu qui émerge à peine du sol. Ou encore, trouvaille adorée, large sombrero débordant de toute part, régulièrement inscrit au sommet d’un tronc d’une belle hauteur, une aubaine rare.

Toujours par hasard, toujours en flottement, la marche du cèpe est posée, hésitante, insistante, une quête perdue d’avance, et belle leçon de détermination à l’usage des impatients. J’y apprends la sagesse motivée par le désir, la préparation involontaire du moment espéré. Indifférent à la cuisine, éloigné de la dégustation, j’aspire, paisiblement, à la lente découverte.

Humer profondément, scruter la mousse, la balayer d’un regard inquisiteur à la recherche d’une veine, d’un filon, d’une aubaine. Et finalement, tomber dessus quand on n’attendait plus – pur plaisir de la marche du cèpe.

Les années passent.

Les années fastes : recueil mirifique retour les bras chargés le sourire content et les menus qui défilent. Années blêmes, pauvres exemplaires s’affrontant en duel, un dans chaque main pour une dégustation solennelle. Et toujours, recherche renouvelée, patience aboutie, petits pas sur la mousse hôtesse délicate et confortable de ses chapeautés délicieux.

Ensuite, que dire…? Ah oui, bien sûr, évoquer les joviales attrapes familiales, gourmandes et débonnaires, une ascension de Charybde en Scylla du bonheur, passant de la simple fricassée à l’huile d’olive et à l’ail à la gourmandise extatique pâtes, crème fraîche et parmesan, rejetant au passage la traditionnelle et surfaite déclinaison de risotto – trop triste que le goût s’affadisse au profit du bouillon. Et, toujours, le plaisir, universellement de chez nous, de comparer. Discuter. Essayer, savourer. Partager.

Et, le lendemain, y retourner. Car, finalement, l’après-forêt, si délicieux, reste secondaire. La marche du cèpe est son propre plaisir.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s